Les secrets d’une belle écriture
L’Histoire de l’humanité commence il y a près de 5500 ans, quand les hommes décidèrent pour la première fois d’enregistrer leurs actions dans la pierre et la terre avec les tout premiers caractères d’écriture…
Dans le monde occidental, l’écriture est restée très longtemps l’apanage d’érudits et d’artistes spécialisés. Mais avec la Renaissance, elle est graduellement devenue plus accessible à tout un chacun, au point qu’au cours du 16e siècle les écrits les plus nombreux à nous être parvenus étaient produits par des amateurs sans formation formelle, qui avaient tendance à négliger la qualité de leur écriture…
C’est à cette époque que, dans les territoires des Pay-Bas méridionaux (Pays-Bas et Belgique actuels), on commence à faire la distinction entre l’écriture commune et “l’art d’écrire” – autrement dit la calligraphie : en réaction à la tendance générale d’écrire de manière négligée, l’écriture est élevée au rang d’un art que l’on pratique “pour sa beauté”, elle est parfois même exposée auprès de tableaux de maîtres dans les maisons. Les professionnels, ou “grands plumeteurs”, mettent évidemment à profit la récente invention de l’imprimerie pour transmettre plus largement leur savoir au travers de traités spécialisés démontrant les différents styles utilisés à l’époque. Mercator, à Anvers, est le premier à avoir publié un tel traité en 1540*; il a été suivi par de nombreux maîtres, dont Jan van der Velde qui connut un succès gigantesque à l’aube du 17e siècle.
Bref, la distinction faite entre l’écriture “banale” utilisée par le commun des mortels et la “belle écriture” des maîtres scribes n’est pas neuve…
Je voulais aujourd’hui partager avec vous quelques réflexions quant à la définition même de la calligraphie, cet “art de bien écrire”, et tenter d’identifier ce qui différencie les pattes de mouche de tout un chacun de la main du calligraphe accompli.
– Structure et régularité –
La première chose que l’on apprend quand on se lance dans la calligraphie aujourd’hui, c’est que chaque style d’alphabet est composé d’une suite de traits dont le nombre est relativement limité. Ces traits de base forment le squelette de l’écriture, les lettres ne sont en fait qu’une combinaison de ces éléments parallèles, espacés de manière régulière et structurée, tracés les uns derrière les autres à une vitesse d’escargot. Quel que soit le style d’écriture pratiqué, la répétition de formes relativement identiques apporte une impression d’harmonie et donc de beauté.
L’étude de la forme idéale et l’apprentissage des moyens nécessaires pour l’atteindre sont poussés à l’extrême dans la pratique de la calligraphie, ce qui en fait une écriture “parfaite” mais totalement artificielle, car elle force le scribe à se plier à des standards établis par tel ou tel maître et à réprimer toutes les imperfections de son écriture “naturelle”.
– Forme et expressivité –
Dans la pratique, la beauté des lettres calligraphiées vient d’une multitude de facteurs tangibles faciles à étudier : la répétition de formes harmonieuses inspirées de la nature (je pense aux ellipses des écritures anglaises et spenceriennes), la simplicité des quelques principes de bases répétés à l’infini, le rythme et la régularité des traits et l’impression d’ordre qui en découle, le parallélisme des courbes et la qualité des traits… Ce sont tous des éléments à portée de main pour qui veut bien se donner la peine de travailler de manière régulière et réfléchie. Mais la technique est-elle la seule voie à suivre dans notre quête du beau ?
Dans son livre Scribe, Artist of the written word, John Stevens évoque les limitations que le calligraphe peut s’imposer à lui-même s’il se borne à simplement répéter les mouvements mis en place par les maîtres du passé, aussi parfaits soient-ils. A force de répétition, l’écriture devient trop guindée, elle manque de mouvement et d’expressivité et elle finit par perdre son intérêt visuel et artistique. Si la perfection et la régularité des traits sont nos seuls objectifs, autant se tourner vers les ordinateurs et la multitude de polices disponibles, pour obtenir l’effet recherché.
A l’opposé de cette vision rigide de la calligraphie se trouve l’écriture spontanée que l’on utilise au quotidien : exécutée rapidement et sans interruption, truffée d’imperfections et d’irrégularités. Elle n’est peut-être pas toujours considérée comme belle (ou lisible), mais elle a le mérite d’être expressive. Si l’on en croit les graphologues, les lettres tracées naturellement par notre main vont même jusqu’à trahir notre personnalité.
Aujourd’hui, les jeunes ont plus de facilité à taper sur un clavier qu’à tenir un stylo, et peu de gens se donnent encore la peine de soigner leur écriture… Ce qui pouvait être fatal à une carrière il y a cent ans n’a plus aucune importance aujourd’hui.
Entre ces deux extrêmes de perfection de forme et d’expressivité pure il doit y avoir un juste milieu, et c’est sans doute précisément là que se trouve la beauté fascinante de l’écriture manuscrite.
– Beauté et émotion –
Mais qu’est-ce que la beauté au fond ?
C’est une réponse émotionnelle – purement subjective – face à un stimulus qui provoque un sentiment d’admiration.
Il est peut-être important de respecter les formes et techniques idéales enseignées dans les manuels d’écriture, mais les petites imperfections que nous cherchons parfois obstinément à chasser de notre calligraphie sont exactement ce qui la rendent humaine, vivante, connectée au coeur et aux émotions. La synergie de ces deux éléments est nécessaire pour arriver à donner à nos créations ce “petit plus” qui les rendra mémorables.
Toute cette réflexion me ramène enfin à mettre en question la quête de perfection qui m’anime souvent lors de mes séances d’exercice. Chercher à atteindre cette perfection, c’est comme chercher à atteindre un but hors de portée, mais cela suppose aussi que ma quête a une fin – ce qui est un peu dommage…
La forme seule, aussi parfaite soit-elle, ne pourra jamais me satisfaire tant qu’elle reste froide et sans signification. A mesure que ma calligraphie évolue, je ressens le besoin d’apprendre plus, de donner plus, et surtout de dévoiler ma singularité. Jour après jour j’évolue, et ma vision de l’excellence se doit d’évoluer avec moi si je veux être capable d’apporter un souffle de beauté à mon écriture.
Et vous, dites-moi… qu’est-ce qui vous attire dans la beauté particulière de la calligraphie ? Qu’est ce qui la rend plus intéressante que les polices de caractères ?
*Cette très brève page d’histoire est concentrée sur le développement de la calligraphie dans la région des Pays-Bas méridionaux. D’autres manuels d’écriture ont été publiés en Italie avant celui de Mercator, mais sous l’influence du protestantisme, ce sont ces régions qui ont ensuite été à la pointe du développement de l’écriture.
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